ON Y EN PARLE (des pigeons)

Dominique Kippelen survole les espaces aériens
Les oiseaux ont envahi le Hangar Umam D&R.
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En croquis, photos, vidéos, ou encore en piaillements et gazouillis, ces «marcheurs qui construisent le sol à mesure qu’ils avancent...» illustrent le voyage initiatique de Dominique Kippelen.
Elle n’en est pas à sa première œuvre d’art ambulante. Cette artiste plasticienne, qui vit et travaille à Strasbourg, a toujours investi les zones intermédiaires et les passages, et entretenu des relations intimes avec les lieux qu’elle occupe.
«Je m’intéresse particulièrement à la notion de paysage, de parcours, de territoire, du rapport de l’homme à son environnement et aux notions d’espace», dit-elle.
Espace intime d’ombre et de lumière et l’ici et l’ailleurs qui traduisent la fragilité du monde, ce sont autant de champs d’exploration qu’elle assiège à sa manière.
Lorsque l’artiste arrive sur les lieux, elle ne les quitte qu’après y avoir greffé ses propres émotions, sa sensibilité, qu’elle appelle «mes rencontres», puisqu’elles sont toujours issues de chocs esthétiques ou psychologiques. «Elles déforment et reforment mon être», ajoute-t-elle. Tentée par toutes les formes d’expression artistiques (images vidéo, objets picturaux ou sculpturaux), Kippelen choisit l’outil nécessaire en fonction du pourquoi et du comment de l’approche.
Les gouttes de pluie dans la poussière (Strasbourg, 1996), To the Naked Eye (1999 Leicester ), Là-haut sur terre dans la vie profonde... (1998, Stutgart), sa démarche instaure des rapports de séduction ou de répulsion, joue sur la déstabilisation et entretient la confusion.

Pigeon voyageur
Après deux résidences au Liban, Dominique Kippelin débarque de nouveau à Beyrouth. Illustrer en images la recherche de la pureté et de la légèreté, tel était l’objectif de l’artiste. Quoi de mieux que le ciel libanais azuré?
S’employant à découvrir le rapport de l’homme oriental avec les pigeons, elle revendique une démarche plus poétique que scientifique.
«Pourquoi le Liban? se demande-t-elle. Pour la relation unique qui existe entre l’homme et le pigeon. Ce qui m’intéressait en tant que plasticienne, c’était non le volatile en tant que tel, mais bien la traversée de l’espace, cette danse en anneaux que faisaient les pigeons en l’air», confie-t-elle.
Côtoyer les pigeonniers clairsemés dans tout le pays, rentrer en contact avec les éleveurs, écouter la musique du vent et comprendre le langage des oiseaux, telles sont les étapes suivies pour aboutir à une œuvre artistique complète et interactive.
Articulée sur un axe dans l’espace, l’installation de Kippelen repose sur une hiérarchie de documents. Au fond, sur le mur, sont accrochés un croquis agrandi, une image faisant référence au mythe d’Icare, une autre à celui d’Hermès, le messager des dieux et la dernière une photo prise sur le vif par l’artiste du mouvement d’un groupe de pigeons au-dessus de Beyrouth. Ils encadrent des esquisses d’oiseaux effectuées à quatre mains avec l’artiste Char Abou Mansour, ainsi que des références aux musiciens, physiciens, écrivains qui ont traité ce thème. Enfin, les messages écrits, recueillis des pigeons voyageurs, forment une véritable correspondance qui traverse les frontières.
Face à ce mur panaché, un panneau lisible recto/verso. Sur l’une de ses faces, des projections, accompagnées d’un bruitage réalisé par l’artiste, donnent à voir les battements d’un pigeon effarouché, tandis que les fils électriques enchevêtrés, illustrant le paysage spatial de Beyrouth, brillent de mille feux de l’autre côté du panneau. Les noms des éleveurs de pigeons ainsi que les quartiers où ils résident y sont apposés. Enfin, au bout de l’axe de vision, une immense photo, représentant un homme qui vole, surplombe la porte.
Rêves d’évasion de l’être humain? Désir d’aller toujours plus haut? Ou simplement image des contacts humains éphémères, emportés par le vent vers d’autres rives?
L’intention de Dominique Kippelen n’est pas de donner une signification à ses travaux, mais de convier le public à rêver, à établir ses propres
questionnements.
Tout en se fondant dans la culture d’un pays et en captant tout ce qui s’offre à son œil, son ouie et son odorat, elle parvient à rassembler une malle riche en rêveries qu’elle emportera ailleurs.
Rien qu’à penser aux autres destinations, il lui semble pousser des ailes.

Colette KHALAF


Article écrit par François le jeudi 1er juin 2006 à 07:43

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